Trois mots sont tatoués sur le bras de Stéphane Lasnier : «Réalise tes rêves». Il y a trois ans, il a été forcé de faire une croix dessus. Des douleurs permanentes lui rendent la vie infernale.

Pour ajouter à son malheur, la condition du résident de Châteauguay ne paraît pas. De l’extérieur, l’homme de 39 ans a l’air bien portant. «Tout ce que j’ai sur mon corps, c’est une petite cicatrice dans le dos. Mais 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, j’ai mal à la colonne vertébrale. Mes jambes sont faibles. Du nombril aux orteils, je ne sens plus rien», confie Stéphane Lasnier en entrevue.

Comme sa maladie n’est pas apparente, il se sent souvent incompris et regardé de travers. Il a tenu à témoigner pour sensibiliser le public aux souffrances invisibles. «Ce n’est pas pour me plaindre mais pour faire connaître la douleur chronique. On en parle peu, c’est méconnu. J’aimerais me sentir moins jugé», exprime-t-il.

Hernie discale

Le malheur de Stéphane Lasnier a commencé par des douleurs causées par une «grosse hernie discale». Un trouble courant : le noyau gélatineux d’un disque intervertébral en sort et comprime un ou des nerfs.

Il a subi une première chirurgie au dos en 2010. «Ça n’a pas réglé le problème», se désole-t-il.

Quatre ans plus tard, il a dû être réopéré de toute urgence en raison de symptômes inquiétants apparus subitement. «J’étais en train d’uriner et ça a arrêté d’un coup. J’ai commencé à perdre la sensation du nombril jusqu’aux orteils», se souvient-il.

Des nerfs étaient sur le point d’être sectionnés. «Le chirurgien Benoît Goulet qui m’a opéré m’a sauvé de la paralysie. Il s’est arrangé pour que je puisse retrouver le mouvement de mes jambes. Quand j’ai su que je marcherais encore, j’étais très content», relate Stéphane Lasnier.

Fentanyl et autres

À la suite de la deuxième intervention, les douleurs chroniques persistent. Et Stéphane Lasnier ne sent plus le bas de son corps. Il doit prendre quotidiennement 35 pilules. Des médicaments contre la douleur, mais aussi pour atténuer les effets secondaires de ces remèdes, notamment sur le système digestif. Les médicaments ne le soulagent pas complètement. «Ma douleur est à 6 ou 7 sur 10 la plupart du temps», précise-t-il.

L’homme a été traité par plusieurs spécialistes dans nombre d’hôpitaux. Il est toujours suivi. Le diagnostic précis reste toutefois à poser.

«Pendant longtemps, les ateliers sur la douleur étaient mes seules sorties», note-t-il.

Multiples deuils

La douleur incurable a forcé Stéphane Lasnier à faire plusieurs deuils. Son état de santé l’empêche d’occuper un emploi. Il vit de l’aide sociale. «C’est extrêmement dur pour le moral. J’étais travaillant. J’avais une job. J’aimerais bien ça aller travailler», lance-t-il. «Je ne sais pas si j’aurais voulu des enfants ou non mais je peux oublier la paternité», ajoute-t-il. Des petits plaisirs comme profiter du soleil lui sont aussi interdits en raison des médicaments qui le rendent plus sensibles à ses rayons. «La plupart du temps, je reste couché. Je passe mes journées allongées. C’est comme si, du jour au lendemain, on m’avait ôté ma vie», exprime le malade de 39 ans.

Stéphane Lasnier et sa mère Denise Charbonneau.

Soutien de sa mère

Sa mère souffre de voir son fils dans cet état. «Mère un jour, mère toujours, on n’arrête jamais de s’inquiéter pour son enfant», témoigne Denise Charbonneau. Elle soutient son garçon. «Je lui lève mon chapeau pour le courage qu’il a de vivre avec ça. Il est courageux et résilient», affirme-t-elle.

Amour et espoir

Qu’est-ce qui garde Stéphane Lasnier en vie ? «Ma copine !» répond-il sur la note la plus énergique de toute l’entrevue. Il a fait sa connaissance sur internet. «Ça a changé ma vie», avoue-t-il.

Et il garde espoir qu’un nouveau traitement lui rendra un jour toute sa vie.

 

La constance du Fentanyl

Stéphane Lasnier atténue notamment sa douleur avec du Fentanyl, cette substance qui fait les manchettes en raison de nombreux décès par surdose déplorés chez des consommateurs l’utilisant à des fins non médicales. «Je ne ressens aucun effet euphorisant. L’avantage du Fentanyl, c’est qu’il procure une dose égale 24 heures sur 24. Avec de la morphine, par exemple, il faut attendre une demi-heure avant de ressentir l’effet. Ça dure deux heures et demie et ça commence à baisser. Tu passes ta journée à faire comme une vague», explique M. Lasnier. Avec le Fentanyl administré avec une patch fixée à la peau, il ne craint pas de surdose. «Ça fait trois ans que j’en prends et je n’ai jamais eu de problème», assure-t-il. Il garde toutefois de la Naloxone, antidote au Fentanyl, au cas où.

Le Fentanyl lui procure un soulagement constant.

20 % de la population touchée

Au moins 20 % de la population du Québec et du Canada vit avec un problème de douleurs chroniques, selon l’Association québécoise de la douleur chronique (AQDC). «C’est dramatique. Tous les groupes d’âge sont touchés, de la petite enfance au grand âge! » fait part sa présidente, Céline Charbonneau. Les personnes âgées sont les plus touchées. Et comme la population vieillit, le phénomène est appelé à prendre de l’ampleur. Les problèmes lombaires et de dos sont les plus nombreux, indique Mme Charbonneau. «Par la suite, dans le désordre, il y a l’arthrose, l’arthrite, la fibromyalgie, les migraines et maux de tête, sans oublier les suites d’opérations qui laissent des problèmes de douleurs chroniques.  C’est le même phénomène que nous retrouvons dans les suites de traitements de différents cancers», détaille-t-elle. Les maladies inflammatoires de l’intestin comme la maladie de Crohn et le syndrome du côlon irritable font aussi partie de la liste.

L’AQDC compte plus de 8000 membres au Québec et 17 groupes d’entraide. D’autres s’ajouteront l’an prochain, précise Céline Charbonneau.

La douleur et la faiblesse de ses jambes limitent Stéphane Lasnier dans ses mouvements. Le gouvernement lui a accordé une vignette pour bénéficier des cases de stationnement réservées aux personnes handicapées. Lorsqu’il les utilise, il se fait souvent regarder de travers, dit-il. «Les gens pensent que les vignettes sont pour les personnes âgées», croit-il.