Tribune libre
Opinion

Le lynchage médiatique sur les médecins de famille est nocif

le mardi 03 mai 2016
Modifié à 0 h 00 min le 03 mai 2016
Par Production Gravite

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On ne parle plus que du revenu excessif des médecins. On oublie l'essence même du travail des médecins qui se dévouent jour et nuit pour soulager les maux de leurs concitoyens.

Premièrement, il faut faire la nuance entre celui des médecins de famille et celui des spécialistes. Certes, certaines spécialités atteignent des revenus disproportionnés par rapport à d'autres spécialités, mais cela est le fruit des tractations du ministre Barrette, alors qu'il était président de la FMSQ, après avoir été président de l'Association des radiologistes. Clarifions la question du revenu. Il s'agit en fait du revenu brut et n'oublions pas que la majorité des médecins travaillent un nombre d'heures considérable. Les frais de bureau incluent les salaires des secrétaires, des infirmières, le loyer, l'électricité, l'informatique, les fournitures médicales, etc. qui sont défrayés par les médecins et non pas par le gouvernement, et cela équivaut à plusieurs dizaines de milliers de dollars par année. Par ailleurs, nous n'avons pas les avantages sociaux (assurances médicale, dentaire, congés de maladie, congés de maternité ou de paternité et fonds de retraite) dont bénéficient les employés de l'État. Nous devons, à même notre revenu, planifier toutes ces dépenses. Ces informations n'apparaissent jamais dans les médias pour justifier notre rémunération. Dénonce-t-on avec tant d'aigreur les revenus des PDG, des politiciens avec leurs avantages secondaires, incluant un plan de retraite généreux, ceux des avocats, des dentistes, des pharmaciens, de certains journalistes et animateurs grassement payés, des sportifs?

Vous avez comme journalistes une responsabilité de cesser de diffuser des informations fragmentaires sur les revenus des médecins. Également, il faut cesser de véhiculer que tous les maux du système de santé reposent sur les médecins de famille. Contrairement à la majorité des autres provinces canadiennes, les médecins de famille au Québec sont très polyvalents. Ils exercent en bureau, à domicile, au CLSC, en CHSLD mais également à l'hôpital, à l'urgence, en gériatrie, sur les unités d'hospitalisation, en soins palliatifs, en obstétrique, etc. Il faut revenir au début des années 1990 où il y avait un manque de médecins dans les urgences des hôpitaux et sur les unités d'hospitalisation. Des obligations ministérielles obligèrent les omnipraticiens, sous peine de pénalités financières, d'avoir des activités médicales dans les hôpitaux, diminuant du même coup leur présence en bureau. Les médecins ont bien répondu aux demandes gouvernementales et accomplissent un travail important en institution.

Maintenant, devant le problème d'accessibilité en première ligne, on met le blâme sur ces mêmes médecins. Avec les supercliniques, le ministre pense régler le problème d'accessibilité. Cela risque de coûter très cher sans les résultats escomptés. Cela peut sembler attrayant de penser que l'enfant ayant une otite puisse être vu le samedi à 19h plutôt que le dimanche matin à 8h, mais le problème d'accessibilité est beaucoup plus complexe.

Pour vraiment opérer un changement majeur dans le système de santé au Québec, il faudrait que le ministre Barrette ait de la vision. Il faudrait qu'il soit capable d'écouter les acteurs du réseau de la santé. Et, pourquoi ne demander qu'aux médecins de famille d'être disponibles 365 jours par semaine, sept jours par semaine, 12 heures par jour dans ces supercliniques? Pourquoi ne pas mobiliser tous les groupes professionnels sept jours par semaine: physiothérapeutes, ergothérapeutes, diététistes, travailleurs sociaux et spécialistes. Le lynchage médiatique sur les médecins de famille entretenu de façon pernicieuse par le ministre est malsain. L'attitude du ministre Barrette engendre une morosité sans nom dans le réseau de la santé. Nous pouvons constater une hausse significative d'insatisfaction, d'anxiété, de démobilisation chez un nombre croissant de professionnels de la santé. Il est infiniment triste de voir que le ministre de la Santé, au lieu de jouer le bon père de famille, stimulant ses troupes positivement pour les amener à se dépasser et travaillant conjointement avec tous les professionnels, utilise plutôt l'arme des faibles: le dénigrement, le mépris, les insultes. Les jeunes médecins et les résidents que je côtoie sont découragés de débuter ainsi leur pratique avec autant d'exigences et si peu d'encouragements. Les prochaines années seront sombres pour la relève en médecine familiale. Rares seront ceux qui voudront postuler pour la résidence en omnipratique. Quel gâchis!

Sylvie Dufresne,

médecin de famille depuis 32 ans