Le centenaire qui a survécu à l’Holocauste
L’espérance de vie de l’être humain se calcule selon divers facteurs d’hérédité, de condition physique et d’environnement. Mais on peut aussi parler de rage de vivre dans le cas de Tibor Garai, un survivant de l’Holocauste qui atteindra l'âge de 100 ans le 18 mai.
Ce Hongrois d’origine de confession juive mène aujourd’hui les derniers droits d’une vie mouvementée dans le calme du CHSLD Trèfle d’or, de Châteauguay, où nous l’avons rencontré.
Bien sûr, le natif de Budapest n’est plus alerte comme autrefois et il en est conscient. «Dans les circonstances, ça va bien, dit-il. À bientôt 100 ans, mes réponses pourront vous paraître un peu bizarre…»
En fait, pour bien comprendre l’histoire de «Tibi» et le sort que lui et sa famille ont subi sous l’occupation allemande, on se réfère à ses mémoires écrites en 1945, après avoir échappé au camp de travail où il avait été envoyé en mai 1944.
Dans la Budapest occupée par les nazis, la population juive était confinée dans le ghetto juif, où leurs maisons et vêtements étaient marqués de l’étoile jaune. Son père, Mordecai, y détenait une petite épicerie mais a été dénoncé aux nazis par son associé de confession catholique. Il mourra de faim après avoir été envoyé au camp de concentration de Mauthausen, en Autriche.
M. Garai a vécu des moments et des traitements insupportables sous l'occupation nazie. (Photo Denis Germain)
Le 3 mai 1944, M. Garai a entrepris un douloureux périple qui le conduira dans un camp de travail situé près de la frontière roumaine. Des journées passées entassé avec d’autres prisonniers dans une grange à bétail, ou encore sous un cuisant soleil, puis un trajet en train dans une atmosphère suffocante, jusqu’au camp de travail.
«On était une soixantaine par wagon, entassés comme des sardines. Ce fut comme ça durant une semaine qui m’a paru une éternité, raconte-t-il. Si on voulait faire nos besoins, fallait faire ça dans le wagon.»
Dans le camp de travail de Betlehem, les forcenés étaient obligés de creuser des tranchées et transporter de lourdes charges. «Dès les premiers jours, un jeune garçon est mort de fatigue et de chaleur. Plusieurs d’entre nous qui n’étaient pas solides mentalement sont devenus fous. D’autres qui ne pouvaient supporter leurs charges tombaient et se brisaient une jambe.»
Frappé par une crise d’asthme, Tibor Garai avait du mal à se déplacer, mais devait poursuivre par crainte de recevoir un coup de carabine dans le dos.
Des conditions insoutenables qu’il a dû subir jusqu’au 15 octobre. Les Allemands ont alors plié bagage devant l’avancée des troupes russes. Un déplacement forcé d’une vingtaine de kilomètres à pied, avec un éclat de bois dans le pied.
Déplacé une fois de plus vers Budapest, les prisonniers ont été gardés dans une ancienne synagogue, d’où M. Garai est parvenu à s’échapper pour quelques jours avant d’être capturé à nouveau et condamné à l’exécution.
«Ils voulaient me conduire au peloton d’exécution, mais en se dirigeant vers une voiture, le capitaine SS s’est adressé au chauffeur hongrois pour lui dire qu’il avait autre chose à faire que de transporter un Juif. Ils ont ouvert la porte et j’ai pu m’enfuir, je ne pouvais croire ce qui m’arrivait.»
Plus tard, une fois la guerre terminée, Tibor a pu retrouver son frère Ervin qui lui, avait combattu au sein de la résistance serbe. Ils ont successivement vécu en Autriche, en Allemagne puis en France où ils ont rencontré leurs épouses, pour finalement émigrer à Montréal où ils ont été accueillis par la communauté juive.
Aujourd’hui, avec le soutien de ses fils John et Patrick, Tibor Garai conserve encore avec lui de vieilles photos de sa famille qui lui permettent de se rappeler les bons moments qu’il a pu vivre à ses côtés dans de meilleurs temps.