Inondations et fortes pluies : villes résilientes aux intempéries
Catastrophe naturelle ayant causé le plus de dommages dans l’histoire du Québec, Debby a laissé derrière elle non seulement des débris à la tonne et des casse-têtes de réclamations d’assurance, mais aussi la confirmation au sein des villes que la résilience de leur territoire face à ces intempéries exige des efforts sur plusieurs plans. Portrait de cinq villes de la Rive-Sud.
Boucherville, l’innovante
Forcément, quelque chose dans la formule qu’emploie la Ville de Boucherville fonctionne : seulement 0,4% des résidences de son territoire ont été affectées par les pluies diluviennes du 9 août.
«Si on compare les villes autour, on s’en tire à bon compte. Notre réseau n’est pas si mal, car on a pris les mesures dans les dernières années pour tenter de faire une bonne gestion des eaux de pluie, tant de notre côté que du côté des citoyens», présente Roger Maisonneuve, directeur général.
Bien sûr que les bassins de rétention et la correction des branchements croisés sont de la stratégie, mais les pratiques innovantes sont aussi mises à profit.
Le stationnement incitatif Montarville en est un exemple probant. Plus de 1 110 arbustes, 114 arbres à grand déploiement, 3 180 vivaces et 7 000 m2 de gazon réduisent l’effet habituel des ilots de chaleur que créent ces espaces.
Sa surface nivelée permet l’écoulement de l’eau vers des fosses qui agissent comme un filtre naturel. La surface est faite de pavé uni perméable et alvéolé favorisant l’infiltration des eaux pluviales.
Le stationnement incitatif écoresponsable. (Photo : Gravité Média - Denis Germain)
Il est aussi doté d’un bassin de rétention d’une capacité de 600 m³, qui a été fort utile le 9 août. Des bassins de biorétention souterrains ont aussi été intégrés. La Ville a reçu en décembre 2023 l’attestation Stationnement écoresponsable du Conseil régional de l’environnement de la Montérégie.
En tout, quatre stationnements municipaux sont dotés d’un pavé drainant et d’équipements de gestion des eaux pluviales : au Café centre d’art, au Cercle Pierre-Boucher et sur la rue De Muy. «On y pense chaque fois qu’on les refait», signifie M. Maisonneuve.
Autre mesure innovante : une taxe sur les surfaces minéralisées, forçant commerces et industries à mettre l’épaule à la roue pour réduire les ilots de chaleur. En début d’année, la Ville estimait à 6,1 M$ les revenus de cette taxe qui contribue à financer les diverses mesures prises en matière d’environnement.
«Plus on va réduire ces superficies, moins il y aura de pression sur le réseau», résume M. Maisonneuve.
La nouvelle mesure fiscale n’a toutefois pas plu aux principaux intéressés, car elle est contestée devant les tribunaux.
La Ville n’envisage pas employer ce genre de méthode plus coercitive envers les citoyens, mais miser davantage sur les moyens préventifs et de sensibilisation. «Ils contribuent [déjà] beaucoup à l’effort environnemental, ils paient un compte de taxes», illustre M. Maisonneuve.
Un projet pilote intègre des compteurs d’eau dans les projets résidentiels, afin de mieux contrôler le débit et la consommation d’eau. «Mais ce n’est pas pour facturer», assure le directeur général.
Et plutôt que de viser la densité, la Ville limite plutôt le développement résidentiel. «On limite le développement résidentiel, car ça ajoute de la pression sur le réseau [sanitaire]. On est plutôt en mode réduction. On a pris pour politique de développer de façon très progressive», assure M. Maisonneuve.
Il donne en exemple l’acquisition de 7,6 millions de pieds carrés de terrains pour fin de conservation dans le Terroir, où sera autorisée la construction d’au plus 1050 unités, loin des 5000 à 7000 envisagées par le promoteur.
Les bassins de rétention demeurent des incontournables pour la gestion des eaux pluviales. On en compte 12 à Boucherville.
«Ça semble porter fruit, on en a mis dans les nouveaux quartiers. On en a deux gros : Vincent-D’Indy, près du centre multifonctionnel, et le bassin Arthur Dumouchel, au coin Mortagne et de Montbrun, et quelques autres endroits. Certains parcs servent de bassins de rétention», énumère-t-il.
Lorsque la Ville refait les rues, au rythme de trois à cinq par ans, elle y intègre des jardins de pluie, soit des fosses avec beaucoup de végétaux, qui retiennent l’eau.
La Ville veut aussi éviter que les eaux de pluie se retrouvent dans le réseau sanitaire. «On fait du séparatisme maintenant, indique le directeur général. À mesure qu’on travaille sur notre réseau, on sépare les réseaux.»
Un chantier considérable. Depuis 2009, 12 km de conduites ont été modifiés. Il en reste une quinzaine.
Valleyfield : l’ampleur des dégâts
Debby a fait des ravages un peu partout au Québec, et Valleyfield y a particulièrement goûté. Le maire Miguel Lemieux met en perspective les 200 mm de pluie reçus en deux heures, qui n’ont aucune commune mesure avec ce qui a été vu dans le passé.
«Un gros orage d’une récurrence de 5 ans, c’est environ 26 mm en 2 heures, compare-t-il. Aucun réseau n’a été conçu pour prendre une si grande quantité d’eau en si peu de temps. Et on n’est pas en mesure de mesurer la récurrence de ça, car on n’a pas de point de comparaison. Avec les changements climatiques, il y aura plus de fortes pluies, mais à ce niveau, on ne le sait pas encore.»
Les semaines qui ont suivi le 9 août ont été accaparées notamment par la gestion des déchets, dont le volume dépassait la capacité du site de transbordement. «On a dû stocker temporairement des matériaux dans le dépôt à neige, pour libérer les rues», relève le maire.
À Valleyfield, le 9 août. (Photo : Le Saint-François - Archives)
Au début octobre, la Ville ne pouvait chiffrer avec exactitude le nombre de résidences qui ont subi des inondations ce jour-là. Rendre le permis de rénovation gratuit est d’ailleurs l’un des moyens qui permettra de cibler les secteurs davantage touchés.
Aucune zone n’a véritablement été épargnée, et ce, peu importe que les quartiers soient dotés de réseaux séparés (pluvial et sanitaire) ou unitaire. «On ne peut pas encore identifier les caractéristiques qui font qu’un secteur aurait été plus affecté.»
Ce qui est clair, c’est que la capacité de rétention du territoire doit être augmentée, en ajoutant ou agrandissant des bassins, en continuant d’intégrer des ilots de végétation lorsque des rues font l’objet de travaux.
«Notre capacité est parfaite pour les pluies normales, mais si on veut se mettre ceinture et bretelles pour les événements climatiques comme ceux-là, on va devoir s’ajuster et c’est ce que le service d’ingénierie est en train d’étudier», dit M. Lemieux.
Il faut augmenter la capacité de surverses en situation extrême, insiste-t-il.
Lorsqu’il y a un réseau pluvial, l’eau s’en va au cours d’eau le plus proche, et l’eau captée dans réseau unitaire se dirige vers l’usine d’épuration. Lorsque la limite est atteinte, il y a surverse : l’eau ira également dans le cours d’eau le plus proche.
«Ce qui est arrivé, c’est que l’eau entrait plus vite qu’elle en sortait, ce qui était, jusqu’au 9 août, statistiquement impossible.»
«Notre système a bien fonctionné, les pompes ont bien marché, assure-t-il, mais c’était juste trop d’eau.»
La chasse aux eaux parasites, soit les eaux qui ne se retrouvent pas dans le bon réseau, est aussi un enjeu. Dans le cas des entrées publiques, ce sont les tuyaux percés ou fissurés, qui peuvent perdre de l’eau ou faire l’objet d’infiltration, si le sol est gorgé d’eau. «On fait de gros travaux d’infrastructures pour remplacer les tuyaux fissurés», indique le maire.
Dans le cas des entrées privées, c’est lorsque le drain français ou les gouttières sont branchés au réseau pluvial.
Valleyfield mise aussi beaucoup sur une méthode qui «avec des investissements minimaux, donne des résultats optimaux» : s’assurer que les branchements de clapets anti-retour et de pompes submersibles soient installés de la manière la plus optimale.
«Notre service d’ingénierie et d’urbanisme a fait un gros travail d’investigation pour se rendre compte qu’en fonction de la configuration des services, il y a cinq cas de figures différents sur la façon d’installer son clapet et sa pompe. On va accompagner les citoyens là-dedans.»
La Ville songe même à une aide financière à cet effet. «Ce ne sont pas de gros investissements, mais ça peut faire toute la différence. Ça devrait empêcher l’infiltration d’eau par le sous-sol.»
Brossard : un plan imminent
Brossard doit adopter d’ici la fin de l’année son Plan d’adaptation aux changements climatiques (PACC), résultat de plusieurs années de travail.
«Ce PACC contient 55 actions qui ont pour objectif d’augmenter la résilience des citoyens et des infrastructures face aux conséquences des changements climatiques, comme les épisodes de vague de chaleur, de vents violents, de sécheresses et de pluies diluviennes», indique Colette Ouellet, directrice des communications.
Si Brossard peut se réjouir d’être très peu vulnérable aux inondations dues aux débordements de cours d’eau, tel que l’a démontré une étude de vulnérabilité, elle n’est pas à l’abri des inondations pluviales.
La Ville a prévu dans le PACC huit actions pour s’en prémunir, comme favoriser la rétention de l’eau pluviale à l’intérieur d’aménagements et améliorer l’efficacité et la résilience de son réseau d’égout pluvial.
La Ville veut aussi diminuer la vulnérabilité aux inondations de certaines de ses infrastructures.
Déjà, la Ville a mis en place des infrastructures vertes dans le cadre de travaux de réfection d’infrastructures et se sert d’espaces verts disponibles pour faire de la rétention lors de fortes pluies.
Le chantier du secteur A implique de refaire les infrastructures souterraine.s. (Photo : Gravité Média - Ali Dostie)
«La direction des services techniques a consenti beaucoup d’efforts au fil des années en matière de gestion des eaux pluviales pour limiter la surcharge de son réseau d’égout pluvial», informe Mme Ouellet.
Depuis 2022, une nouvelle division est d’ailleurs dédiée à l’analyse des réseaux et à la planification des interventions. Des ressources spécialisées entre autres dans la gestion des eaux pluviales ont été embauchées.
Cette division a pour mandat d’élaborer l’étude hydraulique des eaux pluviales du secteur des P et V pour identifier les problèmes et définir les interventions requises.
Elle a aussi lancé une campagne de débranchement des toits plats, pour investiguer et déconnecter les toits plats raccordés au réseau sanitaire. «L’élimination de ces raccordements permettra de soulager le réseau d’égout et ainsi diminuer le risque de refoulement lors de fortes pluies», précise Mme Ouellet.
Rappelons d’ailleurs que le Plan directeur d’égout sanitaire, fruit d’une étude effectuée de 2021 à 2023, a identifié des secteurs problématiques ainsi que les interventions requises à court, moyen et long terme. Plusieurs secteurs approchent le point de saturation.
Les travaux de réfection des infrastructures dans le secteur des A s’inscrivent d’ailleurs dans ce contexte.
Les études hydrauliques sectorielles en lien avec les travaux de réfection des rues pourront également déterminer des solutions locales et des mesures ciblées, comme les noues, et l’usage des espaces verts disponible pour la rétention.
Un nouveau règlement récemment adopté vise entre autres à obtenir un meilleur contrôle en matière de gestion des eaux pluviales pour les projets de développement et de redéveloppement.
Candiac, noues et verdissement
Candiac fait partie des villes proactives en matière environnementale, étant déjà dotée d’un Plan d’action contre les changements climatiques, qui évalue et priorise ses vulnérabilités face aux aléas climatiques.
Depuis 2021, Candiac compte également une division Transition écologique et de l’innovation.
Parmi les initiatives mise en place, on compte la construction en cours du futur Atelier 25 où logera le service des travaux publics, incluant un toit vert et un toit blanc pour réduire les îlots de chaleur.
L’eau de pluie récupérée sur le toit blanc sera réutilisée dans le bâtiment, réduisant ainsi de 70 % sa consommation d’eau.
En 2018, un réseau de noues drainantes (soit une dépression peu profonde végétalisée qui capte et filtre les eaux pluviales qui s'infiltrent dans le sol) a été intégré à la reconstruction des places Hamilton et Halifax. «Ces noues ralentissent l'écoulement des eaux pluviales vers les réseaux souterrains, réduisant ainsi le risque de surcharge lors de fortes pluies», explique la Ville.
Les noues à l'intersection de place Hamilton et Halifax (Photo : Gravité Média - Ali Dostie)
Depuis 2023, son Règlement sur la gestion des eaux pluviales et sanitaires édicte les normes de rétention et de débit pour minimiser les impacts des eaux de ruissellement et des eaux usées sur les infrastructures municipales.
«En imposant des normes, le règlement permet donc de limiter les risques de surcharge des infrastructures, expose la Ville. Ce cadre réglementaire assure également une responsabilité partagée entre la Ville et les propriétaires, garantissant ainsi un entretien adéquat des systèmes.»
Le règlement a d’ailleurs inspiré la MRC Roussillon lors de la mise à jour de ses règlements.
Toutes les villes que Gravité Média a contacté sur ces enjeux font état de la nécessité de s’assurer que les eaux pluviales ne se déversent pas dans le réseau sanitaire. Candiac s’est dotée à cet effet en 2022 d’un Plan d’action contre les eaux parasitaires, pour mieux gérer les eaux usées.
Si le débranchement des gouttières peut sembler un détail, il a un impact important sur la capacité du réseau. L’an dernier, la campagne d’accompagnement à cet effet a permis la mise aux normes de 50% des gouttières.
«Pour que leurs gouttières soient aux normes, les propriétaires de maisons unifamiliales doivent s’assurer qu’elles soient à une distance minimale de 1,5 m du bâtiment et qu’elles déversent les eaux pluviales sur des surfaces perméables, comme de la pelouse, une plate-bande, une haie de cèdres ou encore un pavé alvéolé.»
Le verdissement et l’accroissement de la canopée du secteur industriel contribuent aussi à rendre le territoire plus résilient. La Ville avait d’ailleurs mis en place un programme d'aide financière à cet égard.
Les arbres et plantes de la micro-forêt aménagée en 2022 au parc Haendel contribue aussi à la captation des eaux pluviales.
Châteauguay, l’effort collectif
Avec des précipitations de 138 mm le 9 août, plusieurs résidences ont été inondées à Châteauguay. La Ville assure néanmoins que tous ses équipements ont été fonctionnels.
«On a entre autres fait des surverses dans la rivière, à notre usine Rodrigue-Caron. L’eau passait directement dans la rivière, on a empêché beaucoup d’inondations de cette façon», explique le maire Éric Allard.
La séparation des égouts sanitaire et pluvial est le moyen pour lequel Châteauguay «met les bouchées doubles», image-t-il aussi.
«On a mis en place des choses en peu de temps et ont a amorcé des travaux importants de séparation d’égout. Le boul. D’Anjou en chantier, c’est dans cette lignée. Il nous reste encore 16 km à séparer les égouts.»
Les bassins de rétention, dont le plus gros sur le boul. Saint-Francis, contribuent bien sûr à rendre le territoire plus résilient. «On en faisait et on en fait de plus en plus, et c’est la direction qu’on doit prendre», précise-t-il.
Des stationnements alvéolés, tels que les nouveaux espaces pour voitures électriques à l’hôtel de ville, font aussi partie des solutions. Le stationnement à venir à l’Ile Saint-Bernard sera aussi «plus résilient».
Les noues végétalisées de l’avenue Normand constitue un autre exemple d’initiative améliorer la rétention d’eau.
M. Allard témoigne de la proactivité de la Ville en matière environnementale : «On est en train de revoir notre politique pour l’environnement, on travaille sur nos nouvelles orientations, notre plan de transition écologique…»
Comme d’autres villes, Châteauguay soutient que des efforts doivent aussi se déployer chez les citoyens.
Le maire donne en exemple les stationnements en pente et les garages au sous-sol. «Il y a des moyens à mettre en place pour protéger sa maison, tels que s’assurer que l’égout soit fonctionnel et nettoyé et qu’il puisse être branché dans le pluvial. Si on s’attend à une grosse pluie, il faut mettre des sacs de sable.»
«Pour ceux qui ont des pompes submersibles, il faut arrêter de les brancher dans le sanitaire, mais plutôt dans le pluvial ou sur le terrain, sinon on s’auto-inonde, ajoute-t-il. En retournant l’eau dans le sanitaire surchargé, on ne s’aide pas du tout.»