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À la tête d'une banque de cerveaux

le mardi 27 juillet 2021
Modifié à 10 h 15 min le 27 juillet 2021
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

Dr Naguib Mechawar (Photo Denis Germain)

ENTREVUE.Neurobiologiste résidant à Châteauguay, Dr Naguib Mechawar est directeur de la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada. Il a accordé une entrevue sur le sujet au Soleil de Châteauguay le 25 juin.

 

Q  Comment êtes-vous devenu directeur d’une banque qui contient non pas des billets verts mais des neurones ?

R Je suis neurobiologiste de formation. Ce qui m’intéresse plus particulièrement, c’est la morphologie et l’organisation des cellules du cerveau humain et la façon dont elles sont connectées. Ça nous permet ensuite de mieux comprendre comment ces paramètres microscopiques sont affectés par des facteurs environnementaux tel que le stress chronique. Suite à un doctorat en neuroscience et deux stages post-doctoraux, je suis revenu à Montréal avec pour objectif de développer mon propre laboratoire, d’avoir mon propre groupe de recherche. Il y avait un poste qui s’ouvrait à l’Institut Douglas. Un poste justement pour un jeune chercheur qui pourrait développer une thématique autour de la recherche sur la dépression et le suicide. Ils cherchaient quelqu’un avec une formation en neuroanatomie, ce qui était mon cas, pour diriger cette banque de cerveaux. Elle avait des moyens très modestes à l’époque, en 2007, et des installations un peu vétustes. C’était assez limité comme équipement, comme laboratoire. Je ne suis pas le seul à avoir contribué à l’essor de la banque de cerveaux mais on a réussi à obtenir énormément d’aide du côté d’organismes subventionnaires, du côté de Bell Canada, qui dans ses efforts en soutien à la santé mentale a appuyé la modernisation de la banque de cerveaux. On a réussi à engager des techniciens, des anatomistes qui travaillent au sein de la Banque et, aujourd’hui, on est une des banques de cerveaux les plus importantes sur la planète. On a plus de 3600 cerveaux humains. Et c’est des cerveaux, on dit bien caractérisés parce qu’on obtient d’abord le consentement des personnes qui souhaitent donner leur cerveau pour la recherche. Mais il y a aussi les cerveaux obtenus du bureau du coroner. Ils nous parviennent grâce au consentement des membres de la famille, donc des personnes qui se sont suicidées ou qui sont décédées accidentellement. Environ deux mois après le décès, on rencontre la famille et on fait ce qu’on appelle des autopsies psychologiques, qui nous permettent vraiment de dresser un profil complet du vécu de la personne. Chaque personne a un vécu très riche et très différent des autres. Des entrevues comme celles-là nous permettent de documenter des périodes de la vie assez difficile comme la maltraitance infantile. De documenter même quantifier la sévérité de la maltraitance. L’objectif de la banque de cerveaux c’est de caractériser et préserver ces échantillons pour la recherche. Alors du côté de la recherche on est en mesure d’établir s’il y a une corrélation en étudiant des groupes d’échantillons, en les comparant avec des échantillons témoins, des cerveaux de personnes qui ne souffraient pas de problème de santé mentale, on est en mesure d’observer les changements au niveau des cellules, au niveau des molécules dans le cerveau. Et ça nous met sur des pistes afin de mieux comprendre des conséquences de phénomène comme la maltraitance infantile, les conséquences à long terme sur l’organisation biologique.

La banque contient 3600 cerveaux. (Photo - Ray Barillaro)

 

Q  La Banque de cerveaux fournit des échantillons à des scientifiques à travers le monde. Est-ce que ça a permis des découvertes ?

R Oui. La mission de la Banque de cerveaux c’est appuyer la recherche sur toutes les maladies du cerveau. On reçoit des requêtes régulièrement de partout à travers le monde de groupes de recherche qui ont besoin d’explorer quelque chose dans le cerveau lui-même, de valider un phénomène qu’ils ont observé autrement. Alors mon équipe prépare les échantillons et les envoie à ces groupes de recherche, à partir du moment où on reçoit l’approbation éthique et toute la paperasse qui vient avec, évidemment. On n’envoie pas des échantillons cérébraux comme ça. Effectivement, au fil des ans, ça a mené à différentes découvertes pour différentes maladies, que ce soit l’Alzheimer, certains gènes, certaines molécules qui ont été associés avec le développement de lésions caractéristiques à l’Alzheimer. Il y a des découvertes à l’extérieur du pays mais il y en a aussi beaucoup à Montréal. On a beaucoup d’utilisateurs à Montréal et ailleurs au Québec. Il y a des découvertes récentes qui ont été faites ici mais ailleurs aussi, je pense au Japon et en Suède où, il y a deux ans, un chercheur très réputé a réussi à caractériser certaines molécules, certains neurotransmetteurs qui permettent la communication entre les neurones. Alors ils ont pu caractériser des différences qui semblent assez nettes dans le cerveau de dépressifs grâce à nos échantillons. Il y a toutes sortes de recherches fondamentales qui sont menées qui nous permettent de mieux comprendre la complexité du cerveau humain. Comment surviennent les changements associés aux problèmes de santé mentale ou aux maladies neurodégénératives comme l’Alzheimer ou le Parkinson.

Q  Pouvez-nous parler des astrocytes ? 
R Dans le cerveau, on parle beaucoup des neurones qui occupent une place importante et qui communiquent d’une manière électrique et chimique mais ils ne travaillent pas seuls. Il y a autant de cellules non neuronales dans le cerveau que de cellules neuronales. On parle d’environ 86 milliards et à peu près l’équivalent en cellules gliales qu’on appelle. Il y a différentes classes de cellules gliales, notamment les astrocytes. Cela vient du fait que lorsqu’on les regarde au microscope ces cellules-là ont l’air de soleils. Ce sont vraiment de très belles cellules. Elles semblent particulièrement impliquées dans la dépression. Ce qu’on a constaté et d’autres groupes ont constaté la même chose : il semble y avoir une baisse dans le nombre d’astrocytes dans le cerveau de personnes qui ont fait une dépression et chez les personnes qui se sont suicidées. Ç’a été documenté de différentes façons, au niveau cellulaire, au niveau moléculaire, au niveau microscopique. On n’arrive pas encore à expliquer exactement qu’est-ce qui mène à cette perte-là, qu’est-ce qui l’explique et quelles sont les conséquences directes sur les circuits responsables de la régulation de l’humeur. 

Q  Vous espérez que cette recherche fondamentale mène à des traitements ? 
R Oui, c’est ce qu’on espère qu’éventuellement ça va mener à une meilleure connaissance du cerveau de personnes qui souffrent de dépression. Nous, on est tout de même en amont pas mal. On est au niveau fondamental mais il y a une raison pour ça. C’est qu’on comprend encore assez mal comment fonctionne le cerveau. Il y a énormément de recherches et de connaissances qui sont générées à chaque semaine à travers le monde en neuroscience mais il y a des zones d’ombres majeures, surtout en ce qui concerne le cerveau humain. On découvre des choses absolument fascinantes. Des types de cellules qui sont propres au cerveau humain, une organisation particulière entre ces cellules-là, et au niveau de la connectivité. Il y a des choses qui sont propres à l’humain qu’on doit mieux comprendre. Lorsqu’on a la chance de pouvoir examiner le cerveau de personnes qui avaient des maladies du cerveau, on voit aussi souvent des phénomènes qui sont propres à l’humain. Il y a des modèles animaux qui sont essentiels en recherche biomédicale mais c’est des modèles, souvent ils sont imparfaits. C’est important de vraiment examiner pour mieux comprendre ce qui se passe dans le cerveau de quelqu’un qui a une maladie mentale.


Qui est-il 
Dr Naguib Mechawar, PhD, est directeur du programme d'études supérieures du département de psychiatrie de l’Université McGill et professeur; directeur de la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada du Centre de recherche Douglas ainsi que chercheur et co-directeur du Réseau québécois sur le suicide, les troubles de l’humeur et les troubles associés – RQSHA.