Le nouveau système de prise de rendez-vous médical Navig, basé sur l’intelligence artificielle (IA), est en phase d’implantation dans tout le réseau de la santé, mais suscite plusieurs insatisfactions au sein de cliniques médicales de la région.

La nouvelle agence Santé Québec a octroyé un contrat de plus de 40 M$ à l’entreprise Vitr.ai de Granby, pour réaliser ce mandat. Sa technologie est déjà utilisée par plus 75 GMF et il est en phase d’implantation depuis septembre dans tous les GMF de la Montérégie-Ouest. Ceux-ci doivent l’avoir assimilé complètement d’ici le 21 novembre. 

Le processus de prise de rendez-vous proposé via le système appelé Navig promet de faire passer le temps requis, qui est habituellement de 3 à 5 minutes, à seulement 1 minute 30 secondes.

Son principal atout est d’orienter les patients vers le bon professionnel, que ce soit un médecin, infirmière, physio, pharmacien ou autres, en leur adressant une série de questions générées par l’intelligence artificielle.

En octobre 2024 dans un GMF de la ville de Québec, 415 personnes sur 1431 qui avaient téléphoné pour un rendez-vous ont été orientées vers un autre spécialiste, dont 17 aux urgences, peut-on lire dans La Presse.

Une réalité différente

L’expérience du terrain vécue dans la région se veut cependant moins spectaculaire. Au Centre Médical de Huntingdon, après un mois d’utilisation, le système est solidement critiqué dans une lettre envoyée le 22 septembre dernier par l’équipe d’agentes administratives à la députée de Huntingdon, Carole Mallette, au ministre de la Santé Christian Dubé et au premier ministre François Legault.

Les 4 agentes signataires déplorent le nouveau système «qui nous pousse à mettre notre jugement et notre humanisme de côté afin de devenir des robots qui doivent répéter des phrases et des questions prédéfinis… pas adaptés aux besoins des patients.»

Elles citent notamment en exemple une journée au cours de laquelle au moins 6 questionnaires complétés envoyaient le patient directement à l’urgence, alors que les problèmes signalés pouvaient être traités en clinique.

De plus, le système suggère des rendez-vous dans des délais «totalement déraisonnables» pour la majorité, et que les agentes doivent transgresser.

Pour le personnel, le fait de devoir passer à travers toutes ces questions posées aux patients et les copier au dossier ajoute une charge de travail au lieu de la diminuer.

(Photo Unsplash)

Même son de cloche du côté de la Clinique des Bâtisseurs, chemin Larocque à Salaberry-de-Valleyfield. Selon le Dre Lynn Dominique, responsable du GMF, le système est une bonne idée à la base, mais dans les faits, il n’est pas adapté à la réalité du quotidien et finit par ralentir le processus de prise de rendez-vous, qui avait déjà un taux de rétention de 95% avant l’arrivée de Navig.

Dans un GMF de Vaudreuil-Dorion, 26 rendez-vous n’ont pas pu être comblés en raison des exigences du système informatisé. «Il y a des patients que le système a identifiés pour être vus dans un délai de 6 jours, mais pour qui il y aurait pu y avoir une place en 3 jours », raconte le Dre Dominique.

«Le système ne porte pas de jugement professionnel dans son analyse, tout est uniformisé et pas adapté à la réalité vécue sur le terrain, contrairement à nos secrétaires qui possèdent une meilleure expertise », poursuit-elle.

Par ailleurs, le système Navig en était à sa première journée d’implantation le jeudi 23 octobre au GMF Le Trait d’Union, à Delson. La directrice Catherine Malouin affirme avoir des appréhensions à la lumière de commentaires obtenus de GMF situés sur la Rive-Nord, où le système est en place depuis plusieurs mois.

Pour l’instant, dit-elle, «on remarque que c’est plus long qu’à l’habitude… le système comporte une liste de questions obligatoires, on note un manque de flexibilité et une dépersonnalisation des rapports avec la clientèle. Mais on verra si ça va s’améliorer avec le temps.»

Nous avons aussi tenté d’obtenir un écho auprès du GMF Roger-Laberge, de Châteauguay, mais la direction s’est abstenue de commenter.

Question d’adaptation

Questionné sur ces diverses réactions, le directeur général de la firme Vitr.ai, Alexandre Chagnon, fait valoir que les éléments évoqués témoignent «d’une difficulté tout à fait légitime à changer les pratiques des agentes administratives qui oeuvrent dans nos cliniques médicales. C’est normal, dit-il, puisque plusieurs de ces agentes réalisent leur travail depuis plusieurs années sans l’aide de notre produit. »

Depuis décembre 2022, Vitr.ai compte plus de 300 cliniques utilisatrices dans la province (environ 2500 agentes administratives). M. Chagnon explique que, partout, sauf exception, les agentes administratives ont, dans les premières semaines d’utilisation, ressenti le même «malaise».

L’entreprise dit supporter activement les agentes administratives par l’entremise d’une personne dédiée, de son équipe, pour chacune des cliniques. «Par exemple, au sujet des patients orientés à l’urgence, notre IA est personnalisable par chacune des cliniques», indique le fondateur de Vitr.ai.